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CRITIQUES D'ART

GIUSEPPE MARCHIORI

1978

Dans les sculptures de François Kovacs, la base première de l’inspiration artistique est la recherche scientifique, qui a abouti par des échanges complexes à une longue série d’oeuvres lucides, que l’auteur a lui-même qualifiées “organiques”. Ce qu’elles sont, en vérité, parce qu’elles se modèlent sur l’observation au microscope de tissus humains, animaux et végétaux.

C’est là une découverte géniale, qui permet d’atteindre à l’expression artistique après avoir pénétré au microscope la morphologie des structures naturelles. Celles-ci deviennent ainsi des structures valables aussi bien en architecture qu’en peinture et en sculpture. Il s’agit ici d’une expression propre à notre siècle expérimental. Kovacs s’en est rendu compte avec une intuition admirable, surtout dans son “Hommage à Gaudi”, que l’on peut considérer comme un exemple probant du rapport étroit établi entre l’analyse microscopique d’un tissu alvéolé et le modèle d’une plastique baroque et visionnaire, caractéristique du style et de l’imagination féconde de l’architecte catalan. La première fois que j’eus l’occasion de voir quelques oeuvres de Kovacs, j’ai effectivement été frappé de l’extraordinaire mobilité des formes, animées d’une vitalité irrésistible, d’un dynamisme qui se manifeste en torsions irruptives, au point, par exemple, de transformer une colonne en un jeu d’éléments stylistiques contorsionnés, dans lesquels l’unité plastique se fragmenterait en une audacieuse trame stylistique baroque.

Ainsi donc, face au problème difficile qu’il s’était posé, Kovacs était parvenu déjà dans ses premières sculptures à un choix bien déterminé, celui de l’intégration de la sculpture “organique” dans un plan culturel soustrait à l’observation scientifique et reporté - solution nouvelle - dans l’ordre original de l’art plastique. Ces oeuvres étaient indiscutablement d’une qualité originale dans leur libre interprétation d’un monde inconnu et que seul le microscope avait pu révéler, en une étrange transposition baroque. Kovacs avait utilisé les effets magiques de la coulée en bronze de ses sculptures, animées d’un rythme qu’accentuaient les reflets dorés du métal. Mais il fallait ensuite opposer à la fascination qui émane du bronze la possibilité d’une métamorphose des éléments mêmes, à travers la peinture en noir et blanc, qui pouvait en faire de véritables “totems”, que l’on pourrait attribuer à l’une ou l’autre lointaine civilisation africaine ou polynésienne.

Il va de soi que les matériaux aussi sont variés : l’aluminium peint et le marbre, toujours en blanc et noir, puisque la sculpture polychrome ne se prête pas du tout à la conception “constructiviste”, qui s’impose avec une rigueur structurale absolue pour le marbre de Carrara blanc et le marbre noir belge, que Kovacs utilisera plus tard pour atteindre aux parfaites harmonies architectoniques, qu’il qualifiera symboliquement “cosmiques”, terme séduisant s’il en est.

Ces figures comportent le cercle, le centre, la croix et le carré, qui correspondent, dans l’ordre, au macrocosme opposé au microcosme, au microcosme ou être vivant, à la rencontre et à l’union, représentés comme la communication dans la sculpture, et aux quatre éléments fondamentaux: la terre, le feu, l’air et l’eau. Le concave et le convexe, qui symbolisent la femme et l’homme, entrent aussi en considération, dit Kovacs. Et ils pourraient se ramener aux caractères de l’art “organique”, surpassé toutefois par les conceptions nouvelles qui modifient complètement l’art de Kovacs, ouvrant d’une certaine façon la voie - au-delà de toutes les interprétations symboliques - à une sculpture rénovée, fondée exclusivement sur les combinaisons infinies des “modules”. La tentation de la couleur, dont les sculpteurs antiques ont souvent usé, a conduit Kovacs à une série de recherches, qui ont abouti à l’application de certains principes inspirés de la philosophie chinoise du Tao, qui se base sur deux symboles opposés, le Yin et le Yang, pour expliquer l’Univers, Dieu, la réalité, l’essence de la vie humaine et cosmique.

Le “blanc” l’emporte sur les différentes couleurs et même sur le noir, nonobstant la signification taoïste que Kovacs a voulu donner à ce contraste fondamental. Pour conclure, cette phase de l’art de Kovacs, qui ramène aux origines, s’explique par les colonnes de marbre spiralées, d’une préciosité formelle absolue, rendue possible par la qualité de la matière.

Le marbre blanc de Carrara se prête, en effet à cette finesse modulée, à ces courbes polies avec une grâce subtile, presque musicale, s’il est permis d’employer un terme quelque peu ambigu, mais valable pour définir l’extrême spiritualité de ces formes, qui enclosent le sens de l’infini dans leur exacte dimension et qui approchent, par l’identité des fins, la pureté absolue des formes chères à Brancusi.

Les formes primordiales assument dans l’art de Kovacs un symbolisme plus complexe et révélateur, comme dans les cas typique de la “Naissance d’un cube dans l’oeuf cosmique” et de la “Naissance d’un cube à l’intérieur de la sphère”.

Il est difficile de tenir compte de toutes les étapes qui constituent les raisons idéales d’un processus formel aussi riche de significations symboliques. Il est difficile de reconstruire cette succession de moments, liés l’un à l’autre, selon le schéma d’une pensée rigoureusement logique, qui se manifeste dans la continuité des expressions plastiques, à partir des réalisations de la période “organique”.

Nous arrivons ainsi à la période actuelle, la troisième, que le sculpteur définit justement comme celle de la “modulation infinie”, en ce sens qu’elle s’inspire de l’infinité des combinaisons possibles du “module polyvalent”.

J’ai sous les yeux, sur ma table de travail, le petit modèle en marbre qui représente la synthèse actuelle d’un long travail, qui s’est déployé dans le temps pour arriver à la conclusion d’une expérience constructiviste projetée, avec la présence et la participation du public, lequel pourra constater l’extraordinaire variété des combinaisons possibles. Le projet est fascinant en ce qu’il permet de vérifier la validité du module polyvalent.

Le programme de cette manifestation artistique, que le sculpteur considère comme aussi importante que celles de Kassel et de Venise, est tracé dans un texte intitulé “Sculpture conceptuelle avec la participation du public”. Il ne s’agit cependant pas d’une de ces “performances” courantes, mais d’une expérience où le module est représenté par une “section de cube réalisée selon les règles constructivistes et qui a elle-même une valeur esthétique”. Kovacs affirme que deux exemplaires de ce module permettent de créer quelque 144 variantes. Nous le croyons sur parole. De cette façon, la sculpture, déjà esthétiquement valable dans l’exemplaire unique, peut se multiplier à l’infini et donner au public la satisfaction de “créer”, par le moyen du multiple offert par l’artiste avec une habilité diabolique.

Kovacs est arrivé de la science à l’art par un processus largement expérimental, qui montre comment la recherche rationnelle peut hardiment franchir ses propres limites et se justifier dans la fantaisie créatrice, exprimant de nouvelles valeurs fondamentales d’une pureté esthétique absolue. Toute l’oeuvre de François Kovacs que j’ai essayé d’analyser dans les différents aspects de son évolution, doit être considérée, dans l’histoire de la sculpture européenne moderne, comme un exemple de vocation artistique singulière.

L’art de F. Kovacs révèle, en effet, une nature d’artiste particulièrement doué et qui parvient à réaliser l’inspiration fantastique dans les façons absolues d’une capacité constructive géniale. Une qualité, celle-ci absolument rare en un artiste de notre temps.

PIERRE BAUDSON

1978

L’assemblage d’éléments préfabriqués ou fournis par le hasard est une forme de jeu qui caractérise et poursuit l’homme dès son enfance.

Tours élevées comme par défi, labyrinthes sans cesse renouvelés, constructions aux imbrications toujours inattendues se succèdent comme autant d’obsessions, échappant souvent au domaine de la conscience, de la réflexion.

A ce “jeu”, le sculpteur ne peut échapper. Confronté aux pièges que lui tend un espace insistant, pénétrant, dévorant, enivrant, il ne peut que rêver sans cesse à l’intégrer à ses créations, y laissant jouer sa lumière, comme l’y pousse toute la problématique contemporaine de son art. Depuis longtemps, il a découvert que son oeuvre ne peut plus être une entité réduite à elle-même, isolée dans son milieu ambiant, mais qu’elle doit, au contraire, conquérir celui-ci, dialoguer avec lui, en prendre possession. Cette attitude implique forcément une utilisation originale des masses et des vides, des couleurs et des matières, quels que soient l’échelle ou le caractère de l’oeuvre: signal dominant son environnement ou structure participant directement de celui-ci. Parmi les courants majeurs de la sculpture contemporaine, la répétition rythmique, et comme naturellement ordonnée, d’un même élément, d’un module prédéfini, est de celles qui donnent naissance à des organisations strictes, rigoureuses mais non dénuées d’esprit poétique, voire d’une symbolique précise.

C’est là, au stade actuel d’une évolution qui l’aura mené très logiquement des structures cellulaires, au sens biologique du terme, jusqu’à l’organisation quasi mathématique de l’espace, que semble se situer très exactement François Kovacs dans sa mise en oeuvre d’un “module polyvalent”.

“Mon problème, a écrit Marino Di Teana, est de créer une structure évolutive, c’est-à-dire jamais finie. Ces formes que j’appelle évolutives se présentent de telle façon que, quand je conçois ces structures, elles peuvent aussi bien être un bijou qu’un sujet d’intérieur ou une structure colossale pour l’environnement extérieur, et, développées, elles peuvent devenir une cité pour abriter les hommes, sans perdre leur caractère artistique”.

Au niveau de l’intégration - mot magique de la création artistique contemporaine - et dans un sens plus systématique - mais faut-il s’en défier ? - c’est sans doute ce vers quoi tend Kovacs par la mise en place, étonnamment variée, de ses modules. Multipliant ceux-ci dans les trois dimensions, il répond à ce besoin fondamental et éternel: créer, selon le mot d’un autre sculpteur, Berto Lardera, des “situations plastiques”.

Ses oeuvres, signaux ou environnements, s’avèrent développables dans l’espace, jouant du vide et du plein, de la lumière et de l’ombre, de la petitesse et de la grandeur. Nées d’un élément originel unique, quelles qu’en soient la couleur, la matière, la dimension, elles traduisent une spéculation intellectuelle active sur les possibilités de fusion entre sculpture et architecture, le module sculptural rejoint l’élément architectonique dans un dialogue dont n’est pas exclue la fantaisie. Celle-ci, au gré des combinaisons, donnera naissance soit à d’amples organisations déambulatoires, véritables lieux ludiques, “demeures” théâtrales aux fonctions sociales déterminées, soit à des superpositions de portiques habitables par le seul regard jeux d’arcades oniriques, à la gratuité nécessaire, ou colonnes sans fin, filles spirituelles de Brancusi.

Mais les mêmes composants, modules-multiples, se pliant aux lois plus fonctionnelles de l’architecte et s’adaptant au caractère forcément plus utilitaire et quotidien de ses constructions, pourraient également fournir une sorte d’écho visuel aux propositions purement sculpturales.

Dès lors, l’inévitable et éternelle quête, qui voit si souvent le créateur avide d’espace aller et venir de la sculpture à l’architecture, se verra réaffirmée une nouvelle fois, au grand jour.

BERNARD DE MELLO

1982

“Arts, Antiques, Auctions”

De l’avis même des artistes les plus marquants, Kandinsky, Pevsner, Malévitch, les schémas les plus purs de leurs oeuvres furent d’abord inspirés par les icônes que leur vision dépouillée engagea ensuite dans la voie de l’absolu et de la mystique. Car le constructivisme, contrairement â une fausse idée fortement répandue, ne s’est jamais présenté, aux grands moments de ses réalisations, comme le couperet nihiliste de l’art émotionnel, ludique, où la révolution de 1917, après les années vingt, s’est complue à noyer le phénomène artistique.

Gabo ne s’y trompait point, lui qui écrivait en 1920 : “Je crois que l’art a une véritable part dans l’enchaînement social et mental de la vie humaine. Je crois que l’art est le moyen de communication le plus immédiat et le plus efficace entre les membres de la société humaine. Je crois que l’art ayant une vitalité suprême égale à celle de la vie elle-même règne sur toutes les créations de l’homme”.

Cette conviction, F.l.Kovacs la partage et nous la fait partager à travers son oeuvre sculptée. Comme G. Marchiori n’a manqué de le souligner, à propos du rôle que joue le symbolisme géométrique dans l’oeuvre de l’artiste. Chercheur infatigable, F.l.Kovacs axa dernièrement ses créations sur la répétition savamment ordonnée du module pré-établi à partir duquel il édifie des constructions rigoureuses, quoique empreintes d’une poésie mathématique, où l’oeil, reprenant la fonction du toucher, avance, figure après figure, dans une progressive prise de possession de ce par quoi l’oeuvre est née. Bijoux réalisés uniquement en pièce unique, signés et témoignant d’une remarquable exécution technique. Ceux-ci font exclusivement appel à l’or jaune que l’artiste parvient à métamorphoser, avec beaucoup de finesse, en une texture aux nuances infinies.

ACHILLE SAMOY

1998

On hésite entre l’admiration pour sa volonté de changement ou la découverte de nouveaux horizons, soutenue par une technique sûre, maîtrisant la matière : bronze, peinture, bois, marbre de Carrara, nouvelles techniques chimiques et encore plus ses projets conceptuels. Les découvertes sont souvent étonnantes. On ne s’étonnera guère qu’il aime la musique, surtout les classiques.

A travers toutes ses périodes, F.I. Kovacs a toujours voulu marquer la silhouette dominante de la colonne dans ses oeuvres. Ces différents aspects de colonnes caractériseraient pour l’artiste la symbolisation inconsciente de l’homme. Le “Contrepoint” serait une des perspectives de l’homme vu au travers d’une de ses passions: la musique. En effet, le modelage de la matière libérant sont égal parfait dans l’air est étroitement mêlé à l’espace. L’air ainsi modelé nous offre alors autant de significations rythmiques que la sculpture en possède elle-même. Cette réalisation artistique tridimensionnelle de F.I. Kovacs nous révèle l’harmonie parfaite qui peut exister entre l’homme et la musique.

LUIGI MORMINO

1998

II était une fois la perfection. La science s’élevant aux niveaux raréfiés de l’art. L’art s’habillant tour à tour d’observations microscopiques ou macrophotographiques, de philosophie chinoise taoïste, devenant dépouillé et minimal, atteignant les sommets solitaires du contrepoint, cherchant la modularité, s’aventurant dans le figuratif seulement pour retrouver ou bien défiant les limites humaines du geste pour capter l’éclat de la couleur sanglante de l’expressionisme ou l’élégance de l’écriture orientale. Ces quelques mots, bien pauvres, pour décrire une vie d’artiste, une longue vie d’artiste, celle de François I. Kovacs débutant dans son Hongrie natale à la fin des années ‘30 et se poursuivant, par des chemins pierreux, dans sa patrie d’adoption, la Belgique, depuis 1956.

Je me suis souvent demandé comment parler d’un tableau, d’une sculpture ; les paroles ont leur propre dimension, leur poids. Il est difficile de les ajuster, habiller, pétrir, pour en faire des corbeilles de belles phrases à utiliser en toute occasion. Le brave écrivain doit donc les façonner en “clés”, laisser aux lecteurs des traces à suivre (on est tous des Petits Poucets “mal grandis”) pour que la découverte soit une joie, un lambeau de ciel volé à l’azur des journées fades et insignifiantes. Essayons donc de nous mesurer à l’art de François I. Kovacs et de trouver ensemble les couloirs qui vont nous amener dans le monde secret de cet artiste à la puissante capacité créatrice.

Premier mot-clé: la science

“Qui accumule science accumule souffrance”. Kovacs est un homme de science, un éminent médecin qui, durant toute sa vie, a “reconstruit” ce que le hasard de la violence avait détruit ou défiguré chez ses malades. Ses mains d’orfèvre, sa manie obligée d’un équilibre entre lignes et volumes, son goût pour la recherche extrême des tissus humains, zoologiques et végétaux, produiront, dès que l’urgence de l’expression devient impérative, les “organiques” (sculptures et peintures) et plongeront l’artiste dans le monde irréversible de l’art, cette douce prison dont même pas la mort est capable de nous libérer. ...“Cette machine composée d’os et de chair” (Descartes) qu’est le corps de l’homme n’est ni un “squelette, ni un écorché” (Th. Gautier), mais un vaste champ de recherche : la structure complexe de sa chair, de ses organes, fascinent et capturent l’imagination dévorante de l’artiste qui en fait le monde de ses rêves et recompose dans une matière statique mais permanente (le bronze ou le marbre) les intrigues alvéolaires. L’homme se substitue à la nature (ou à Dieu : “ceci est mon corps” dit Jésus du pain) pour figer à jamais la merveilleuse création de la matière vivante et périssable. D’autres l’on fait avec Kovacs, arrêtant la courbe du temps (et de la beauté) dans l’immortalité de l’image : les Vénus grecques, Michelange, Cranach, Botticelli, etc... : “Oh homme, modeleur ou sculpteur, puisses-tu te donner la forme qu’il te plaît” (Pic de la Mirandole).

Deuxième mot-clé: la musique Après un certain nombre d’expériences manichéennes à la rencontre du noir et du blanc d’où naissent ses puissants KOANON, idôles-pillier à l’incroyable perfection formelle, Kovacs vit l’expérience de la musique. Jean Sébastien Bach et sa loi suprême des fonctions exponentielles du son l’absorbent dans les volutes de l’harmonie qui n’est autre que l’ordre de l’univers et l’amènent à l”Hommage” au grand compositeur, pièce maîtresse de l’oeuvre de Kovacs qui atteint l’absolu même si l’artiste ne résiste pas à la tentation de la scander en 24576 combinaisons possibles, partant de quatre pièces différentes, Un quatuor aux intentions symboliques évocatrices et descriptives et aux modes grammaticaux fort simples. Un phrasé de quatre croches à composer et à décomposer au gré des humeurs et des angles de vue. Comme dans un jeu à l’infini voulant prouver l’imperfection humaine, la faillibilité de l’esprit par rapport à l’Architecte Céleste dont la musique est l’expression de sa perfection. Troisième mot-clé : le module

Les prodromes de l’expérience “organique” et de l’approche “musicale” contribuent à exaspérer en KOVACS sa rigueur mathématique, sa vocation naturelle à la construction, sa manie incompressible d’ordre. Naît la modularité sur des relents de constructivisme basée sur des formes répétitives et variantes du cube, figure géométrique parfaite s’il en est ! Marbre, bois, bronze forment des compositions itératives et ludiques défiant et capturant l’espace. Kovacs retrouve la dimension monumentale de ses débuts ; l’assemblage des modules et leur interchangeabilité rappellent à l’artiste les “châteaux de cartes” de l’enfance hongroise, faite de peu de choses et de grands rêves. L’ordre modulaire va accompagner Kovacs, tel un chemin de croix jusqu’à nos jours, bien que l’homme de science touche entre-temps à la peinture expressioniste, puis figurative, s’apaisant enfin des signes d’autres civilisations orientales les idéogrammes lui assurent une “permanence d’images”, une “durée de création” qui est la grande raison de sa vie. Quatrième mot-clé : la solitude

“La nuit n’est pas encore arrivée, mais le ciel est déjà froid”, disait Pessoa dans un poème, donnant du silence qui règle notre vie une des définitions les plus profondes. L’homme laboure le temps, multiplie les saisons, court après ses phantasmes et ses rêves, provoque la pluie, sème le vent, récolte la tempête, aime, naît, adule la tristesse, provoque le bonheur, “embrasse l’aube d’été” (Baudelaire) sachant que la nuit (la dernière) est là, au coin d’un jour quelconque, au gré d’un nuage gris ou d’un soleil pivoine. Si “le ciel est déjà froid” la grande prière qui a été notre vie annonce la reddition. Chacun de nous en est conscient. Kovacs a vécu en communiant art et vie. L’osmose entre ces deux expressions a été totale, sans fille ni hésitation. “L’état panique” qu’il revendique à sa création est la preuve évidente du défi qu’il a lancé au temps trop court, toujours trop court, qui inscrit une existence entre deux dates. L’angoisse “qui réussit à faner la fraîcheur du visage mais pas celle de l’âme” (Shakespeare, le conte d’hiver, acte IV), a été sa dame de compagnie, sa lugubre maîtresse lui apportant toutefois cette grandeur que seule la solitude consacre. Celle de l’artiste qui vaincra le temps et la nuit

WIM TOEBOSCH

2005

AICA

On a souvent fait la constatation que les médecins manifestent,- sans doute en guise de dérivatif à leurs fonctions,- un intérêt profond pour les arts. Il est plus rare cependant qu’un docteur qui a fait des recherches poussées sur les structures microscopiques des os humains se tourne vers la pratique de la sculpture. Il faut dire que le hasard (le destin ?) avait donné au jeune Kovacs, dans sa Hongrie natale, l’occasion, dès sa seizième année, d’en apprendre les fondements en exécutant, aux côtés de son frère des monuments funéraires. Mais au cours de ses études ultérieures c’est l’intrigante complexité des tissus humains et végétaux qui le fascinent et le poussent à se livrer à une sorte de spéléologie de l’enchevêtrement des couloirs, des alvéoles et des parois révélés par le microscope.

Quand il transpose les images qu’il découvre en sculptures, il leur donne la forme d’un labyrinthe ouvert, aussi mystérieux et déroutant que ceux imaginés par la mythologie grecque. Il commence par en faire des masses monumentales qu’il démembrera par la suite en ce qu’il appelle des ‘modules polyvalents’. Mais, sur une échelle plus réduite, il compose aussi des sections de colonnes vertébrales déchiquetées en bosses et en creux qu’il peint à la façon des œuvres de Dubuffet, en une forme d’art brut à base anatomique.

Bientôt ces formes, qui sont paradoxalement figuratives puisque conformes à une réalité secrète, s’épurent, se simplifient, se géométrisent et quand l’artiste découvre les vertus et les possibilités du marbre blanc de Carrare et du marbre noir de Mazy, son œuvre évolue vers un art minimaliste jusqu’au suprématisme cher à Jawlensky. Il colle des tranches alternatives en des volumes totalement abstraits, d’une étonnante pureté dans leur présence polie, unissant les extrêmes des deux non-couleurs, le blanc et le noir en des rondeurs d’une élégance sans sécheresse, mariant les contrastes et les rendant complémentaires. Abandonnant son exploration des cavernes de notre squelette, il se laisse séduire par la lisse douceur de fruits imaginaires.

Parfois il affiche une prédilection pour le cube dont il découpe et évide la masse et les faces, les décomposant pour les recomposer à sa guise, jonglant avec le vide et le plein, trompant le regard qui s’insinue pour s’égarer aussitôt. On retrouve ces caractéristiques – pénétration et déroutement, invitation à l’exploration et plaisir à brouiller les pistes – dans ses grands dessins qui rappellent les compositions irritantes mais fascinantes de Escher. Ici, Kovacs affectionne les torsions et la rupture des perspectives, les jeux de transition de l’anneau de Moebius, la concrétisation aussi bien d’ondulations que de sections rectilignes.

L’œuvre de François Kovacs est celle d’un chercheur dans plusieurs disciplines : en tant que homme de science, il sonde et s’aventure dans le mystère de notre structure osseuse ; en tant que sculpteur et même en tant que dessinateur, il investit l’espace de notre environnement de formes et de volumes qui matérialisent les lignes de force de notre constitution physique et sensorielle.

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